Voilà une nouvelle rubrique que j'espère récurrente et qui visera à explorer un acte issu des archives notariales. Trop souvent peu exploitées, ces archives sont pourtant une mine d'informations sur la vie de nos aïeux. Nous allons voir, à chaque fois, un acte d'un contenu différent, aujourd'hui un contrat de mariage puis les autres fois un testament, une quittance, une dette, une mègerie, un inventaire après décès, un codicille, etc.
Mon but est de montrer la richesse de ce fonds. Dans un premier temps, nous transcrirons un acte avec une orthographe moderne pour le lecteur et, dans un second temps, nous tenterons de l'analyser. Cette annonce de plan, peu sexy comme diraient mes anciens camarades en marketing, est cependant nécessaire à la compréhension de notre but.
Mariage entre Pierre Ricard et Marguerite Estienne
L'an mil sept cent quarante huit et le onze
février après midi par devant nous notaire royal à la
Tour d'Aigues soussigné présent les témoins
furent présents Pierre Ricard ménager fils
d'Honoré et de Marie Anne Gabriel tous
dudit lieu d'une part et Marguerite
Estienne fille de feu Joseph et de Marguerite Silvestre tous
de ce dit lieu d'autre lesquels, de leur gré due et mutuelle
stipulation intervenants contractant en la
présence du vouloir et consentement savoir la dite
Estienne de sa dite mère et le dit Ricard de ses dit père et
mère et tous les deux de plusieurs autres leurs parents, et
amis ont promis et promettent se prendre et s'épouser l'un
l'autre en vrai et légitime mariage et icelui solemniser
en face de notre sainte mère l'Église catholique apostolique
romaine ainsi que les fidèles chrétiens sont tenus et
ont coutume de faire dès lors que l'une des parties par l'autre
sera requise par … exprès, mais parce que la dot est le
propre patrimoine des femmes et se constitue au nom
pour la femme à ce que les charges du mariage se puissent
plus facilement supporter à cette cause constitue la
dite Marguerite Estienne future épouse laquelle de son
gré s'est assignée et constituée en dot et pour elle au dit
Ricard son futur époux, tous et un chacun ses biens
et droits présents et à venir qui consistent quant
à présent en la somme de septante huit livres au
prix des meubles et … de la dite future épouse
à ce estimés par amis communs que les dits Ricard père et fils
ont déclaré avoir reçu dudit Jean Arnaud Estienne
son aïeul avant le présent acte ainsi qu'ils ont dit et
les quittant, et en une saumée de terre située en ce terroir
quartier du Revest à prendre du côté de la terre de Simon et
Pierre Pardigon confrontant la Dray Jacques Richaud et a été
évaluée à deux cent livres et soumise sous la main
directe du seigneur baron de ce lieu aux cens et services
qu'elle se trouvera faire franche aux dits futurs mariés de
tous arrérages de tailles, cens et autres dettes jusqu'à ce
jourd'hui et de laquelle en jouiront dès la consommation
du présent mariage, du consentement dudit Jean
Arnaud Estienne son dit aïeul, pour le recouvrement
desquels droits elle a fait et constituer son procureur général
et irrévocable son dit futur époux pour en jouir comme
de causes dotales à son plaisir et volonté, avec
promesse de par lesdits Ricard père et fils d'assurer et
reconnaître au profit de la dite future épouse tout
ce qu'ils exigeront et recouvreront de sa dot et droits
comme en effet ils l'ont assuré et reconnu sur tous
ses biens présents et à venir les dites septante huit
livres au prix des susdits meubles et de rendre et
restituer le tout à qui de droit en cas de restitution arrivant
les habits nuptiaux ont été faits aux communs de part
des parties et toujours ici présent ledit Honoré
Ricard lequel de son gré ayant le présent mariage
pour agréable en faveur et contemplation d'icelui
a fait donation au dit Pierre Ricard son fils
acceptant d'une terre en ce terroir quartier de Saint Vincent
de la contenance d'environ deux emynes et demi confrontant
Jaques Barruou Jean Richaud, Françoise Panisset et autres
et d'une terre ce même terroir quartier de Pouspeine
de la contenance d'environ quatre eymines confrontant
André Durant, André Escoffier Honoré Agnel et autres
soumis sous la main directe du seigneur baron
de ce lieu aux cens et services qu'elles se trouveront
faire et qui lui seront francs de tous arrérage de tailles
cens et autres dettes jusqu'au jour de leur séparation
et outre ce a promis et promet de nourrir et
entretenir son dit fils femme et famille sains et
malades dans sa maison à son égal en travaillant
par iceux au profit et avantage de la maison
et en jouissant par ledit Ricard père de la dot de
la dite future épouse et susdite donation par lui
ci-dessus faite et en cas d'insupport a promis de
lui désemparer tout ce qu'il aura reçu de la dite
dot et droits et susdits biens par lui ci-dessus donnés
ensemble une chambre au troisième étage de sa
maison six draps de lit douze chemises et six
nappes, évalués lesdits biens à cent cinquante livres
et le dit cas d'insupport arrivant dès maintenant
comme pour lors l'a habilité et habilite le déclare
capable de négocier et faire ses affaires à part sans
son assistance l'un faisant donation de ses acquets
et conquets fruit et revenu d'iceux et pour …
de ce les parties ont promis observent accomplir sans
y contrevenir sous l'obligation de leurs biens à toutes
cours ainsi tout juré renonce et requis acte fait et
publié au dit La Tour d'Aigues et dans la maison du
dit Estienne où on été présents Nicolas Meit et Jean Sauvat
de ce lieu témoins requis et soussignés les parties illettrées.
Qu'apprend-on dans ce contrat ?
Les filiations
Tout d'abord, les classiques filiations. Elles sont importantes en généalogie et le chercheur sait que lorsque les registres paroissiaux manquent, il peut le plus souvent compter sur les archives notariales pour combler les lacunes.
Ici on apprend que Pierre Ricard est fils de Honoré et de Marie Anne Gabriel et que l'épouse, Marguerite Estienne est fille de feu Joseph et de Marguerite Silvestre. Le décès du père nous permet d'apprendre l'identité du grand-père, toujours en vie, Jean Arnaud Estienne. D'où l'importance, lorsqu'on lit un contrat de mariage, d'aller jusqu'au bout et de ne pas se concentrer uniquement sur la filiation première.
La profession
La profession de l'époux est « ménager ». Qu'est-ce ? Il s'agissait d'un petit propriétaire terrien. Propriétaire de cinq à quarante hectares (sacrée fourchette !), il était au sommet de le chaîne agricole, en-deçà du laboureur suivant les régions. Retenons simplement qu'il s'agissait d'un propriétaire relativement aisé pour le monde rural. Cela n'empêche pas Pierre Ricard d'être illettré, ne sachant pas écrire son nom. Gageons, mesdames et messieurs, qu'il savait compter !
La dot
Très importante, cette information permet de noter la richesse du couple. Soixante-dix-huit livres de dot en meubles pour l'épouse, soit une somme convenable. Première information, c'est elle qui constitue sa propre dot. Deuxième information, rien ne semble venir de la mère de l'épouse. Cependant, le grand-père, Jean Arnaud Estienne, donne une terre.
Les terres
Pas toujours présentes dans les contrats, elles sont cependant fréquentes dans le monde rural où l'on donne des terres, notamment à l'époux de la part de ses parents, afin de permettre l'installation du couple. Là, une terre évaluée à deux cent livres est offerte par le grand-père de l'épouse, représentant une saumée de terre soit environ 0.8 hectare où l'on peut semer du blé. Le père de l'époux donne deux terres, une de deux eymines et demi et l'autre de quatre eymines. L'émine valait entre sept et huit acres, les terres faisait donc, environ, huit hectares pour la première et treize hectares pour l'autre en prenant la mesure : 1 émine = 8 acres.
Le domicile
Voilà un point qui est presque toujours abordé. Où vivra le couple ? Comme à l'accoutumée, le couple s'installe chez les parents de l'époux, où les époux travailleront au bien de la maison entière en échange d'un toit et de nourriture. Bref, la femme est rattachée à la famille de l'époux.
L'insupport
Encore une clause fréquente dans le contrat lorsque les époux s'installent chez les parents de l'un d'eux. Que faire si l'on ne se supporte plus ? Le père est là fort généreux car il rend la dot de l'épouse, laisse les terres données à son fils et, en plus, leur donne une chambre au troisième étage de sa maison avec du linge « six draps de lit douze chemises et six nappes, évalués lesdits biens à cent cinquante livres » et autorise son fils à négocier sans son accord, le libérant de la tutelle paternelle.
Les témoins
Je n'insisterai jamais assez dessus : les témoins sont importants… Sauf ici. On peut toutefois noter qu'un descendant des mariés épousa une descendante de Jean Sauvat. Des fois, les témoins peuvent être davantage intéressants et nous le verrons à l'avenir.
Le contrat de mariage est l'acte classique chez les notaires et nous devions l'étudier. Il recelle de nombreuses richesses pour construire l'histoire de sa famille. Il établit les filiations, les biens des époux au mariages, les futurs voisins de terres et toutes sortes de clauses. Ainsi ai-je rencontré un mariage entre un protestant et une catholique où il est inclus, dans une clause, que l'époux ne doit pas forcer sa femme à se convertir au protestantisme.